En Russie, le paysage du secteur bancaire ne cesse de vivre des rebondissements depuis 2013. Les grands établissements privés mordent en effet la poussière les uns après les autres, provoquant ainsi une migration conséquente des dépôts vers les banques publiques contrôlées par l’Etat. S’agit-il d’un assainissement du secteur ou d’une renationalisation ? Ci-dessous, un petit éclairage…

Le « grand nettoyage » de printemps ?

Les semaines se suivent et se ressemblent pour les banques privées russes : semaine après semaine, un établissement à l’équilibre financier trop fragile est placé sous tutelle des autorités. Certaines banques sont sauvées, d’autres sont liquidées. A titre d’exemples, nous pouvons citer Otkritiye, première banque privée du pays, qui connaît un trou de 1000 milliards de roubles (soit l’équivalent de 13,3 milliards d’euros) dans sa balance ou Binbank, la septième banque du pays pour les dépôts individuels, passées toutes les deux en 2017 sous administration de la Banque centrale de Russie (BCR). Ces deux banques, jugées trop importantes, n’ont pas hérité du même sort que près de 300 autres depuis 2013 : pratiques douteuses, établissements devenus trop fragiles, blanchiment d’argent…ces banques perdent peu à peu leur autorisation d’exercer. Depuis l’arrivée d’Elvira Nabioullina à sa tête, la BCR retire ainsi les autorisations des établissements indésirables après avoir mené des enquêtes et assure remettre de l’ordre. « Nous vérifions qu’elles ne sont pas impliquées dans des opérations douteuses de blanchiment et de transfert vers des paradis fiscaux, et si elles ont assez d’actifs de qualité pour compenser les dépôts et les crédits. » confirme Vasily Pozdyshev, vice-gouverneur de la banque centrale. Ces différents arrêts d’activité montrent qu’un grand ménage est mené par le régulateur parmi les établissements dont le secteur a hérité depuis la mise en place de l’économie de marché dans les années 90, le processus s’étant par ailleurs accéléré avec la crise monétaire de fin 2014 qui a frappé la Russie.

La crise du rouble

La crise monétaire de décembre 2014 a lourdement affecté les banques en Russie : le cours du rouble a effectivement chuté provoquant un mouvement de panique et une ruée vers les devises étrangères, notamment vers l’euro et le dollar. La population retirait massivement leur argent des banques, le convertissait et le gardait dans un « coffre » à domicile. Selon la Banque centrale de Russie, ces demandes avaient alors atteint 21 milliards de dollars, soit le double du mois précédent. Aux pics du moins de décembre, les transactions s’élevaient à plus d’un milliard de dollars par jour, si bien qu’une multitude de sociétés et de ménages se sont retrouvés insolvables obligeant les banques à assembler d’importantes provisions. Cette crise a accéléré la purge du secteur car dans le même temps la BCR avait augmenté radicalement son taux directeur à 17 %, ce qui a provoqué un coup de frein brutal de l’activité de crédit et mené à des faillites bancaires. Les années suivantes, notamment en 2015, le ciel s’est peu à peu éclairci mais la situation est restée précaire. En effet, la Banque centrale a abaissé durant cette année son taux directeur à 11,5% mais cela n’a pas enrayé la tendance d’un ralentissement économique considérable. Par ailleurs, les sanctions internationales adoptées à l’encontre de la Russie n’ont pas facilité la situation, empêchant les grands établissements de se financer à l’étranger pour redonner de l’air à une économie exsangue et entrainant de fait une importante fuite des capitaux. Ainsi, la stagnation, la régression de l’économie et les sanctions financières contre la Russie ont grandement perturbé la situation d’un secteur bancaire déjà sous pression constante de la BCR et ont contribué aux retraits des licences des établissements. En période de croissance, les banques privées parviennent à être compétitives, mais en période de récession, la sécurité des produits passe au premier plan au détriment de la qualité du service et des produits. On assiste alors à un abandon de la qualité pour plus de sécurité qui relève du domaine des banques d’Etat. Ainsi, dans un contexte où les clients en capacité de tenir leurs engagements se tournent vers les banques publiques, les emprunteurs les moins solvables sont obligés de se rabattre sur les banques privées qui n’ont d’autres choix que de travailler avec eux, ce qui dégrade encore plus leur balance et augmente le risque de crédit.

La situation des banques étrangères

Cette situation qui dure depuis quelques années n’est guère profitable aux établissements étrangers. En effet, suite aux adoptions des sanctions internationales contre le marché russe, les banques étrangères se retrouvent aujourd’hui en position d’infériorité par rapport aux banques d’Etat. De fait, plusieurs de ces banques cherchent à vendre leurs filiales sur le territoire russe comme par exemple la banque suédoise Nordea qui rejoint un groupe de banques étrangères ayant d’ores et déjà quitté le pays depuis 2010, dont Santander, Barclays, Morgan Stanley, ICICI et Swedbank. Les établissements étrangers présents en Russie déterminent donc des scénarios peu optimistes sur l’évolution des activités et pourraient revoir, la crise persistant, leurs perspectives de croissance.

Qu’elle ait été ou non planifiée au gouvernement, cette purge ou assainissement a semblé provoquer inévitablement une renationalisation du secteur bancaire. En effet, à titre d’exemple, l’Etat russe ne représentait que 30% du capital des banques russes en 2004, ce chiffre est monté à 60% en 2017. Dès lors, cette montée de la participation de l’Etat dans les établissements pourrait présenter un risque d’annihilation de toute concurrence sur le marché et amener un déséquilibre dans l’accès de crédits à des organisations politiquement favorables tandis que d’autres entreprises, et notamment les PME, auraient plus de difficultés. Il devient alors complexe de déterminer la démarcation entre l’assainissement et la renationalisation du secteur bancaire russe.