Entreprise historiquement repliée sur elle-même, contrôlant de bout en bout sa chaîne de valeur, la banque voit son modèle bousculé par l’introduction de l’Open Banking. Ce mouvement d’ouverture, favorisé par le contexte réglementaire et concurrentiel, remet en cause le modèle intégré des banques. L’Open Banking immerge la banque dans un écosystème ouvert où elle doit redéfinir son rôle et son modèle de développement. L’enjeu est de taille : garder le contrôle sur l’interface et la relation client.

La remise en cause du modèle intégré des acteurs traditionnels

Le modèle producteur-distributeur

Les établissements bancaires traditionnels se sont développés selon une logique d’intégration verticale : ils produisent leurs propres solutions (comptes bancaires, produits d’épargne et prêts) puis les distribuent au travers de leurs différents canaux de distribution. La banque contrôle ainsi les différentes activités de la chaîne de valeur. Ce modèle intégré, qui a fait le succès des établissements traditionnels, est aujourd’hui remis en cause par l’essor d’une nouvelle concurrence et l’évolution du contexte réglementaire.

La fragmentation de l’offre bancaire

Les banques font face aujourd’hui à une dislocation de l’offre bancaire (« unbundling banking»).  Les différents métiers bancaires sont investis par de nouveaux acteurs (ex : les FinTech) qui se focalisent sur des marchés de niche et se spécialisent sur certains maillons de la chaîne de valeur. Face à elles, les banques doivent gérer, seules, une multitude de produits et de services. Elles peinent à suivre le rythme d’innovation sur chacun d’entre eux et voient le modèle de la vente croisée remis en cause par un comportement opportuniste des clients faisant appel au meilleur spécialiste selon leurs besoins.

L’irruption de nouveaux acteurs dans la chaîne de valeur

Les banques doivent également composer avec la nouvelle directive européenne DSP2. Elles sont contraintes de partager une partie de leurs données avec de nouveaux acteurs : les agrégateurs de compte (ex : Linxo, Bankin) et les initiateurs de paiement. Ces derniers s’insèrent au bout de la chaîne de valeur en prenant la main sur des activités de distribution qui étaient auparavant le pré-carré des banques. Ainsi, la pression concurrentielle et le contexte réglementaire ébranlent le modèle intégré des banques et les incitent à s’ouvrir davantage vers leur écosystème. Parallèlement, la diffusion des API bancaires facilitent le partenariat et la collaboration entre les acteurs de l’écosystème bancaire. Les conditions sont réunies pour la mise en place des nouveaux modèles de l’Open Banking.

Les nouveaux modèles de l’Open Banking

L’Open Banking est le terme utilisé pour décrire le mouvement d’ouverture qui se propage parmi les banques. Ce mouvement consiste à passer d’un modèle intégré à un modèle plus ouvert où les banques partagent leurs données avec les membres de leur écosystème. L’Open Banking est une réalité à plusieurs visages qui recoupe différents modèles de développement. Nous avons choisi d’aborder ici le modèle de la marketplace et celui de la plateforme.

Le modèle de la marketplace de produits financiers

Le modèle de la marketplace constitue une rupture dans le modèle producteur-distributeur des banques. Au lieu de distribuer uniquement ses propres produits, la banque agrège les produits provenant de ses usines de fabrication et ceux des fournisseurs spécialisés. Elle peut ainsi proposer l’offre la plus compétitive possible à ses clients. Le modèle de la marketplace a notamment été rendu célèbre par Amazon. Initialement, le site d’e-commerce distribuait uniquement les produits issus de son propre circuit de distribution. Puis, au fil du temps, Amazon a intégré une marketplace où il proposait les produits de vendeurs professionnels et indépendants.

Ce modèle de la marketplace est applicable dans le secteur bancaire. Il est aujourd’hui prisé par des néo-banques comme N26 qui l’utilisent pour compléter leur offre de compte courant. En développant des partenariats avec TransferWise, spécialisé dans l’achat de devises, et Raisin, spécialisé dans les offres d’épargnes, la néo-banque allemande a été en capacité d’intégrer rapidement de nouveaux services au travers des API. Les grandes banques de détail peuvent aussi adopter ce modèle pour compléter leurs offres. La banque américaine Chase s’est dernièrement associée à OnDeck, une plateforme spécialisée dans les prêts aux PME, pour étoffer son offre de crédits. De son côté, BBVA a intégré un nouveau service de transfert d’argent P2P grâce aux API de Dwolla.

Le modèle de la marketplace permet ainsi aux banques de créer de la valeur en facilitant les échanges entre leurs partenaires et leurs clients. Ce faisant, la banque externalise une partie de son innovation sur des produits où elle ne dégage plus suffisamment de rentabilité.

Le modèle de la plateforme bancaire

Contrairement à la marketplace où le choix des partenaires est restreint et contrôlé, la plateforme s’adresse à un large public de développeurs. La plateforme est un business model qui génère de la valeur en permettant à des tiers de concevoir de nouveaux produits à partir des services et des données bancaires. Il a pour prérequis l’ouverture du système d’information bancaire au travers d’une couche d’API. Le modèle de la plateforme a notamment été popularisé par Apple avec l’Apple Store. La firme américaine, tout en développant elle-même les applications « coeur » de l’iPhone, a encouragé la création d’applications tierces par des développeurs externes. Ce modèle se développe aujourd’hui dans le secteur bancaire. BBVA cherche ainsi à « devenir la plateforme bancaire de référence sur laquelle se construisent des nouvelles expériences digitales« .

Pour profiter des effets de réseau, la banque doit réussir à attirer les innovateurs sur sa plateforme en mettant notamment en avant sa renommée et sa base clients. Si elle réussit à constituer un large écosystème de fournisseurs spécialisés, elle acquerra un avantage certain sur la concurrence grâce à la panoplie de services qu’elle proposera. Dans un premier temps, les banques initient leur stratégie de la plateforme par la mise en place d’un portail API où les développeurs peuvent venir consommer les API. Les premiers portails bancaires ont été lancés : Capital One avec DevExchange, BBVA avec l’API Market ou encore Crédit Agricole avec CA Store. Une seconde étape passera par la mise en place de « stores » où les banques mettront en visibilité les meilleurs applications créées.

Dans les faits, le modèle de la plateforme différe grandement en fonction du degré d’ouverture du système d’information. Des néobanques comme Fidor ou Solaris Bank ont par exemple entrepris d’exposer entièrement leur SI via des API. Fidor a ainsi conclu un partenariat avec l’opérateur téléphonique O2 pour permettre à ce dernier de construire une offre bancaire de toute pièce à partir du « Fidor OS ». Pour autant, dans le cas des grandes banques de détail, le degré d’ouverture devrait être limité à quelques fonctions du SI.

Un périmètre d’ouverture à définir

En effet, quel que soit le modèle choisi, la banque doit statuer sur le périmètre des données et des services à ouvrir sur l’extérieur. Dans le cas des produits « cœur de métier » où elle possède un avantage concurrentiel (ex : livrets d’épargne), il est probable que la banque continue à favoriser un modèle intégré où elle contrôle la majeure partie des activités de production et de distribution. Dans le cas de produits où la banque n’est pas capable de délivrer seule la valeur attendue par le client (ex : transfert d’argent P2P), elle se tournera probablement vers une externalisation d’une partie de l’innovation et de la distribution.

Fruit d’une impulsion stratégique, ou résultat d’une contrainte réglementaire, les principes de l’Open Banking se diffusent dans les banques. Pour conserver une place centrale dans leur écosystème, elles doivent choisir leur rôle et définir leur place dans la chaîne de valeur de leurs produits et services. Finalement, l’Open Banking pousse surtout les banques à reconsidérer ce qui constitue leur core business. De cette définition découleront les stratégies et les moyens à mettre en œuvre (SI, culturels, organisationnels) pour continuer à répondre aux besoins des clients.