La place bancaire marocaine est en pleine mutation avec des business models qui se démocratisent (banque-assurance, banque-société de financement, etc.), l’arrivée de la finance participative, le mobile payement ou encore le développement à l’international, sur fond de course constante à la bancarisation et de forte pression sur les marges.

Aussi, le digital poursuit sa démocratisation :

  • Les marocains sont Digital Ready, avec plus de 4 marocains sur 10 connectés à fin 2016 d’après l’ANRT, et un taux de pénétration d’internet de 43,98% à fin 2016, contre 42,75% à fin décembre 2015.
  • Les progrès rendus possibles par le digital, positionnent l’expérience client comme la priorité pour les banques qui souhaitent conserver leur part de marché, fidéliser leurs clients et se différencier.

Ainsi, à l’heure où le digital tend à se démocratiser au Maroc, tour d’horizon des enjeux liés au réseau physique d’agences bancaires.

Les ouvertures d’agences bancaires ralentissent

D’après Bank Al-Maghrib (BAM), la place bancaire marocaine connaît un ralentissement de l’expansion de son réseau avec environ 230 ouvertures d’agences en 2015 contre plus de 300 par an en moyenne entre 2006 et 2013, ce qui avait d’ailleurs permis de doubler la taille du réseau bancaire passant d’environ 2400 agences à plus de 5000.

Cette campagne d’expansion du réseau est un facteur majeur de l’explosion des charges d’exploitations des banques passant de 11 milliards de MAD en 2006 à presque le double en 2013, tirant ainsi à la hausse le coefficient d’exploitation du secteur bancaire (de 47% en 2006 à environ 50% en 2013).

De plus, le PNB par agence a chuté chez pratiquement tous les acteurs de la place, avec par exemple Attijariwafa bank (11 MMAD à 9 MMAD) et la BMCE (10 MMAD à 8 MMAD) qui ont perdu environ 2 MMAD par agence entre 2006 et 2013, ou encore CIH Bank qui a vu sa marge par agence passer de 12 MMAD à un peu plus de 6 MMAD.

L’expansion du réseau bancaire va se poursuivre durant les prochaines années, mais compte tenu de la baisse de la rentabilité des agences physiques, de la transformation digitale et d’une demande croissante de personnalisation de l’expérience client, les banques marocaines doivent s’interroger plus globalement sur leur dispositif de vente, et notamment la place du réseau physique.

 

Trois transformations majeures à mener

1. METTRE EN PLACE UN PROCESSUS MULTI CANAL COHÉRENT, ET UN CROSS CANAL EFFICACE

Une partie des  clients bancaires marocains sont d’ores et déjà à considérer comme Digital Ready pour ce qui a trait aux services bancaires.

Ainsi ces clients se déplacent en agence dans le but de répondre à un besoin, parfois par manque de services digitaux, et donc pas nécessairement dans l’attente d’une interaction physique.

Le schéma classique du parcours client, où ce dernier entre en agence sans information et ressort avec un produit bancaire après avoir été conseillé, est mis à mal. Le parcours client doit prendre en compte les nouvelles caractéristiques du client marocain qui est de plus en plus :

  • Informé, il fait des recherches sur le web et compare.
  • Connecté, et peut, même sur le point de vente, avoir des interactions avec l’extérieur. Avec son mobile, il aura accès à des comparateurs de produits, en relation avec le produit qu’il a sous les yeux (ex : montant de l’assurance-crédit, des frais de dossiers, etc.).
  • « Social », il partage son expérience sur les réseaux sociaux (en particulier si elle est négative).

Aussi, il est nécessaire d’assurer la cohérence de l’expérience relationnelle entre les canaux digitaux et physiques afin de ne pas perturber le client (même niveau d’information, interaction entre les canaux, etc.). C’est pourquoi les différents canaux ne doivent plus s’appréhender en concurrence mais bien en complémentarité, chacun jouant son rôle là où il est le plus efficace. Par exemple, l’intervention d’un conseiller à distance en click-to-chat ou click-to-call au bon moment dans un parcours client web permettra d’augmenter de manière significative les taux de concrétisation.

Si le multicanal est sur toutes les bouches pour évoquer la multiplication des canaux de ventes, il doit être accompagné d’un cross canal efficace permettant de décloisonner les canaux de distribution.

2. DIGITALISER CERTAINES AGENCES « URBAINES », ET SIMPLIFIER LES AGENCES « RURALES »

L’activité bancaire marocaine est extraordinairement concentrée sur les régions urbanisées de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kenitra et Fès-Meknès. D’après Bank Al Maghrib, ces dernières concentrent  à elles seules 55% des guichets, 65% des dépôts et plus de 85% des crédits du royaume.

Ainsi, un mouvement de digitalisation des agences dans les régions urbanisées est à prioriser par rapport aux régions rurales, car au-delà de la concentration de l’activité bancaire on pourrait penser que :

  • La sensibilité et la confiance dans le digital y sont plus élevées que dans les zones rurales
  • Le PNB moyen généré par client y est plus élevé permettant une augmentation moindre du coefficient d’exploitation en cas d’investissement lié à la digitalisation de l’agence

Dans l’idée de complémentarité entre les canaux digitaux et physiques, l’agence bancaire « urbaine » doit autant que possible refléter l’offre digitale de la banque, on parlera alors de point de vente « Phygital », avec deux principes directeurs :

  • S’appuyer le concept de « Digital in store», permettant de digitaliser les espaces de l’agence (du conseiller clientèle au mobilier). L’enjeu est double, avec la mise en scène de la complémentarité physique / digital, et l’organisation de rebonds et interactions entre les deux mondes, via un processus cross-canal efficace.
  • Proposer des espaces différents selon les besoins du client :
    • « Accueil et orientation », avec prise en compte de la gestion de l’attente
    • « Bornes d’information et d’expérimentation », plutôt via des bornes en libre accès
    • « Espace vente et conseil », permettant convivialité et favorisant l’écoute et l’échange avec le client.

1 – Agence CFG Bank – Casablanca

A contrario, pour les zones rurales / moins urbanisées, il est préférable d’opter pour un modèle d’agence ultra-simplifié afin de mettre en cohérence le coût d’exploitation et le PNB généré par les clients :

  • Immobilier et mobilier à réduire au minimum
  • Dispositif humain light, un agent de sécurité et un conseiller par exemple
  • Agences mobiles, etc.

2 – Agence Wafacash – Format « kiosque »

3 – Agence mobile Société Générale – Burkina-Faso

3. REPENSER LE PILOTAGE DU RÉSEAU D’AGENCES

La digitalisation des agences bancaires pose également la question du pilotage du réseau. En effet, l’agence bancaire se voit de fait attribuer de nouvelles missions, en devenant un « experience store » porteur de l’image de la banque et de ses services, dépassant ainsi son rôle initiale de lieu de transaction et de vente.

Dans ce contexte où l’agence tendra de plus en plus à devenir une étape du parcours client multicanal, il convient donc d’évaluer la performance de l’agence au-delà de sa capacité à produire, en mesurant :

  • La contribution du canal agence dans la performance globale du parcours client de plus en plus multicanal
  • La performance relationnelle délivrée aux clients
  • La contribution à l’expérience client

Côté indicateur de performance, la qualité perçue par le client doit devenir un indicateur clé afin d’évaluer la contribution du canal agence à la satisfaction client, tout en permettant l’amélioration continue des pratiques du personnel agence. Cet indicateur peut être évalué, par exemple, en mesurant le respect des standards de prise en charge des demandes clients, des visites clients mystères ou encore un dispositif de mesure à chaud de la qualité de l’expérience ressentie par le client.

Les banques devront donc se doter d’un dispositif de gouvernance multicanal, intégrant pleinement  les agences afin de :

  • Piloter la stratégie multicanal: Objectif de production, qualité, taux de transformation, etc.
  • Assurer un suivi transverse des parcours clients: Mesurer la contribution des canaux aux ventes, à la satisfaction et la fidélisation client.
  • Définir et suivre des indicateurs adaptés aux missions de chacun des canaux.

 

POUR UN MOUVEMENT DE DIGITALISATION PROGRESSIF ET CIBLÉ

Les transformations présentées reposent sur des modèles et usages de ruptures, il est donc difficile d’établir à l’avance un business case autour du multicanal / cross canal et de la digitalisation du réseau d’agences. D’autant plus que dans le cas de la digitalisation des agences bancaires, le ROI est plombé par l’augmentation des investissements liés aux équipements à déployer en agence (réaménagement des agences, tablettes, bornes, espaces dédiés, formations des conseillers, etc.).

De plus, les gains directs ne sont pas faciles à tangibiliser, comme l’accroissement de la fréquentation des agences, l’augmentation des ventes liée à la complémentarité physique et digitale, ou encore la réduction du churn.

Si l’heure n’est pas au tout digital, une digitalisation progressive et ciblée des agences bancaires semble judicieuse, en gardant à l’esprit que les banques marocaines ne prenant pas la mesure des transformations en cours pourraient payer le prix fort.