La microfinance morte et enterrée ?

En 2006, Mohamed YUNUS, le père fondateur du micro-crédit devient prix Nobel de la paix et met en lumière le concept de microfinance : la proposition de services financiers aux individus exclus du système bancaire traditionnel. La microfinance a connu jusqu’à récemment un Age d’or. Aujourd’hui, le nombre d’institutions de microfinance (IMF) dans le monde est estimé à 10 000 et le nombre de leurs clients à plus de 80 millions.

Mais sa position se trouve aujourd’hui malmenée et la microfinance, en particulier le micro-crédit, doit essuyer un certain nombre de critiques et de dérives (surendettement, faillites d’institutions, pratiques agressives, intérêts trop élevés…). Par ailleurs, même si le taux d’inclusion financière a connu une progression marquée ces dernières années, un large fossé demeure avec les pays développés. 2,5 milliards de personnes n’ont toujours pas de compte bancaire dans une institution financière.

Aujourd’hui plus que jamais, les pays en développement ont besoin d’institutions financières solides en capacité de financer le développement de leurs économies.

Faut-il alors d’ores et déjà enterrer la microfinance ? Quels enjeux doit-elle relever afin d’assurer sa survie ?

Quand la microfinance contre-attaque 

Surtout pas, selon certains investisseurs qui annoncent une croissance sur le marché mondial de 10 à 15% de la microfinance en 2016. Cette croissance marquée s’explique par un ensemble de facteurs favorables qui participent au développement du secteur :

Photo of business hands holding blackboard and writing COMPLIANCE concept

  • Un contexte règlementaire qui s’assainit progressivement et tend vers plus de surveillance des marchés, favorisant ainsi le développement du système financier. En effet, l’expansion de la microfinance a donné naissance à un nombre important d’opérateurs et d’institutions de microfinance (IMF) qu’il convient aujourd’hui de réguler et de structurer sans toutefois freiner leur développement.

En Afrique subsaharienne, plusieurs pays intègrent d’ores et déjà la microfinance dans leur stratégie de développement économique. C’est le cas du Bénin ou du Rwanda qui mettent en place des lois favorables au secteur afin d’encourager les investissements et améliorer les mécanismes de contrôle et de protection des clients.

  • Les évolutions et innovations technologiques impactent positivement le développement de la microfinance. En effet, la technologie permet aujourd’hui d’atteindre plus facilement et à moindre coût les micro-entrepreneurs dans des zones isolées et reculées. Preuve en est avec une des innovations majeures qu’est le mobile Banking. Très développé au Kenya, au Sénégal ou en Tanzanie, le mobile banking montre qu’un grand nombre de clients peut être atteint à coût réduit. En Afrique Subsaharienne par exemple, on dénombre aujourd’hui plus de comptes d’argent mobiles que de comptes bancaires, ce qui témoigne du potentiel de ce levier technologique.
  • Une plus grande diversification des produits de financement proposés par les institutions de microfinance afin de couvrir un éventail plus large de besoins plus complexes. Aujourd’hui les opérateurs de la microfinance cherchent à proposer une gamme de produits élargie : comptes courants, produits d’assurance et d’épargne et transfert d’argent.

Un des grands enjeux de la microfinance est donc de trouver le juste équilibre aujourd’hui entre développement économique, régulation et protection du client.

La microfinance reste un levier important de développement pour les économies en développement : le cas africain

C’est particulièrement vrai en Afrique, où les besoins en financement restent forts malgré la croissance significative de la microfinance. Le secteur a connu de 2002 à 2012 une croissance de plus de 1 300 % en Afrique Subsaharienne selon l’ONG Microfinance Information Exchange. La microfinance a donc le potentiel d’être un réel levier de développement, sous certaines conditions :

Accélérer la mise en place d’un cadre réglementaire favorable au développement du secteur : le défi des États africains sera de jouer pleinement leur rôle en garantissant des conditions générales favorables au développement du secteur : supervision des acteurs, maintien d’une stabilité politique et institutionnelle,  coopération entre les nombreux organismes de financement locaux et régionaux. Face à un nombre croissant d’opérateurs financiers, l’objectif est également de garantir la fiabilité et la stabilité de ces institutions dans le temps. Des initiatives sont déjà en place  et un cadre réglementaire unique spécifique à la microfinance a été promulgué depuis 2007 dans 8 pays d’Afrique de l’Ouest.

La microfinance ne peut pas répondre à tous les enjeux de développement et le rôle joué par l’État demeure capital, en particulier pour les questions relatives à l’éducation, la santé et le développement des infrastructures. Enfin, les programmes de micro-crédit doivent en général être accompagnés de mesures gouvernementales pour faciliter, encourager et accompagner durablement le micro-entreprenariat.

peer-to-peer-lending-323771S’appuyer sur les innovations technologiques pour permettre aux opérateurs financiers d’être en capacité d’adresser les populations, encore en marge de la finance inclusive, notamment les populations vivant en milieu rural. Le système aujourd’hui s’adresse en grande majorité aux exploitants agricoles et aux populations en milieu urbain. En effet, les clients  y sont plus diversifiés (petits commerçants, artisans, coopératives, services…) et leur activité est plus rapidement opérationnelle, permettant de générer des revenus et rembourser les prêts plus aisément. La technologie doit permettre de dépasser la contrainte géographique et accélérer la mise en place d’un maillage plus homogène des IMF afin d’adresser et de désenclaver les zones rurales.

Disposer d’une connaissance plus fine des attentes clients afin d’adresser des besoins complexes et de proposer des solutions adaptées et ne risquant pas de les mettre en difficulté (situation de surendettement, dans le cas du micro-crédit) est un enjeu clé.  Le micro-crédit est essentiellement utile pour les individus ayant identifié une opportunité économique et étant en situation de la faire fructifier à condition de pouvoir se procurer une petite somme d’argent au bon moment. Cela leur évite de se tourner vers des prêteurs de fonds locaux, qui pratiquent des taux d’intérêt très élevés dépassant souvent les 100%.  Pour répondre de façon adaptée aux besoins des micro-entrepreneurs, le secteur doit également proposer une plus grande diversité de produits bancaires, financiers et d’assurance, en s’appuyant sur un éventail plus large d’acteurs : banques traditionnelles, opérateurs de téléphonie mobile et réseaux de distribution pour compléter l’offre apportée par les institutions de microfinance.

La microfinance reste un instrument incontournable de promotion de l’inclusion sociale et financière et de lutte efficace contre la pauvreté. Espérons qu’elle sache mettre en place les réformes nécessaires et tirer parti des défis qui l’attendent.

Lexique 

Un micro-crédit est un crédit d’un faible montant, accordé sans garantie ou presque, à des personnes exclues du système bancaire traditionnel. Ce prêt leur permet d’augmenter leurs revenus à travers des microentreprises et d’améliorer leurs conditions de vie.

La microfinance est une offre globale de services financiers comprenant le micro-crédit, la micro-épargne, la micro-assurance et autres services permettant de proposer aux personnes démunies et non bancarisées, une offre de produits adaptée à leurs besoins