Le sujet des Blockchains est en recrudescence depuis plusieurs mois. En effet, l’intérêt est vif tant venant des acteurs financiers que des autorités nationales. Quelle est cette technologie ? Pourquoi un tel engouement ? Quels sont les risques pour les autorités ?

Le fonctionnement d’une blockchain

Comme expliqué dans notre blog Security Insider, la blockchain (ou registre des opérations) est le livre d’histoire d’un système ; ce livre contient toutes les informations sur les transactions depuis son commencement (voir l’article Le Blockchain au service des intérêts communs). Elle possède 3 caractéristiques clés :

  • C’est un véhicule qui transfère une valeur et qui détient un historique ; chaque transaction possède une donnée unique ou « block » qui reste attaché continuellement à la chaîne grandissante
  • Le système qui organise les blockchains est décentralisé et n’est pas possédé par une seule entité
  • Chaque « block » contenu dans un registre est connecté au précédent au sein d’une chaîne algorithmique digitale ; l’historique vit donc à travers toutes les parties prenantes et est mis à jour à chaque transaction

Ce registre ouvert à tous, se caractérise par son ouverture totale et décentralisée. Le système le plus connu est bien évidemment celui du Bitcoin, qui répond à une approche communautaire de l’économie et qui est spécialisé sur la monnaie. Mais il existe aussi la blockchain privée, au sein de laquelle le processus est contrôlé par un ensemble préétabli de nœuds. L’accès à une blockchain peut donc être public ou restreint aux participants (comme des institutions financières) qui ont été préalablement reconnus. Plus la chaîne est privée, plus la gouvernance est forte. Appliquée au système financier, la mise en place du blockchain suppose une désintermédiation financière et une redéfinition du système de vérification des échanges (le tiers de confiance devient le système lui-même).

Les blockchains peuvent transformer les marchés des capitaux

La technologie des blockchains possède plusieurs potentiels révolutionnaires. Son premier potentiel concerne son efficacité et sa vitesse d’exécution. Actuellement, lorsque des investisseurs achètent ou vendent des titres ou encore négocient des dérivés, le règlement/livraison peut prendre plusieurs jours (cela peut même être plus long pour les cross-boarder). La blockchain permet d’automatiser le processus dans son intégralité.

Son deuxième potentiel concerne la désintermédiation. La technologie se base sur une confiance automatisée (le registre décentralisé). Cela élimine le besoin de garantie venant d’une tierce partie et permet aux investisseurs de traiter directement avec les émetteurs sur les marchés.

Troisièmement, elle permettra de réduire les coûts de transaction en allégeant les systèmes de règlement/livraison et d’utilisation de la tierce partie. Une étude menée en juin dernier par Santander InnoVentures (une fintech appartenant au groupe bancaire Santander) estime que les économies pourraient s’élever entre 15 et 20 milliards de dollars.

Quatrièmement, elle améliorera l’accès au marché. Du fait de la nature internationale de la chaîne, les marchés internationaux ont un potentiel accru d’accès aux investisseurs et aux émetteurs, améliorant ainsi les conditions d’accès au marché.

Bien évidemment, réussir à réaliser son plein potentiel dépendra de l’intégrité, de la capacité et de la stabilité de cette technologie une fois implémentée, ainsi que de ses procédés. Cela dépend également de la volonté de l’industrie financière à investir dès à présent dans cette technologie et à la mettre à place. Les premiers éléments de réponses à ces questions sont encourageants ; en effet, en 2014 les Etats-Unis ont totalisé à eux seuls 9,5 milliards de dollars d’investissement sur cette technologie contre 1,8 pour l’Europe.

 

Des actions déjà très concrètes

En France, un laboratoire d’innovation a été constitué par la Caisse des Dépôts et Consignations, les grands groupes bancaires et assurantiels, des acteurs spécialisés, un pôle de compétitivité, un réseau de dirigeants de PME et d’ETI et le CNAM. Ce dispositif pourrait paraître conséquent mais la concurrence outre-Atlantique est déjà rude avec par exemple l’alliance d’IBM et de la Federal Reserve.

Pour tous, l’objectif déclaré ouvertement  est de « s’approprier le blockchain ». C’est-à-dire de définir les normes d’une blockchain partagée entre les établissements financiers afin de permettre le développement de nouveaux services financiers et d’une nouvelle forme de compensation interbancaire. Cette technologie ambitionne à terme de remplacer le réseau SWIFT qui fait ses preuves depuis plus de 40 ans. L’enjeu est de taille car les transferts interbancaires représentent chaque jour plus de 11 millions de transactions.

Le cas du projet Ethereum fait partie des plus prometteurs. Ethereum vérifie l’intégrité de la blockchain et ajoute de la monnaie (comme le faisait Bitcoin), mais permet également de créer des contrats : la plateforme utilise le terme très marketé de « smart contracts ». Ces smart contracts (ex: émission d’obligations ou d’actions, prêts, etc.) sont exécutés automatiquement au terme du contrat par un protocole informatique selon ses caractéristiques standardisés. Ethereum s’apparente donc à une plateforme décentralisée qui exécute des contrats, où il faut payer pour l’exécution. Il existe des plateformes similaires comme Eris. Cette solution open-source (en libre accès) bien que devancière n’a été développée que par une équipe de développeurs passionnés. On imagine donc difficilement les limites du projet R3 de la startup New-Yorkaise R3CEV LLC, soutenu par un consortium de 42 des plus grandes banques mondiales ! Le 20 Janvier dernier, les participants de ce projet ont d’ailleurs déjà pu tester une blockchain privée de taille modeste et ainsi démontrer que le modèle collaboratif (et commercial) entre banques était bien viable.

Les chantiers qui attendent le régulateur

Les régulateurs à travers le monde doivent faire face à de nouveaux défis amenés par les changements structurels et l’avènement du digital. Le nouveau défi des Blockchains représente à la fois des opportunités et des menaces. L’incertitude est encore grande autour de la stratégie à appliquer pour mitiger les risques induits à ces changements. Bien que la tentation soit réelle de réussir à capter ces opportunités et par là même de nouveaux gains économiques, le rôle premier du régulateur reste de s’assurer que les développements de cette technologie concordent avec ses lignes directrices. De plus, le régulateur doit également s’assurer que ceux qui bénéficieraient de cette technologie, c’est-à-dire les investisseurs et les émetteurs, ont tout simplement confiance en elle.

5 chantiers principaux peuvent ainsi déjà être identifiés.

Le premier d’entre eux porte sur la surveillance. Le régulateur se doit effectivement de contrôler le marché et de comprendre comment les investisseurs utilisent la technologie et ses produits financiers, et consécutivement les risques induits. Le rôle du régulateur est actuellement prédominant sur différentes problématiques comme : à qui doivent être confiés les services de gestion de cette technologie et comment les transactions utilisant les blockchains peuvent-elles être régulées et suivies ? A travers son laboratoire d’innovation, la Caisse des Dépôts et Consignations l’a notamment compris car comment s’assurer de la compatibilité du blockchain et de ses usages avec les systèmes fiscaux existants ? Comment collecter l’impôt s’il n’y a pas d’entité de régulation ? Le débat est déjà enflammé au Japon.

Le deuxième chantier concerne la supervision et plus particulièrement la cyber résilience. La cyber résilience est en effet primordiale compte tenu de la technologie envisagée. Des travaux devront donc être menés sur ce domaine avec un objectif clair : faire être sorte que toutes les parties prenantes aient la capacité de se préparer à une cyber attaque, mais également les moyens d’y répondre et de s’en remettre. L’Australian Securities and Investments Commission a d’ailleurs publié des lignes directrices pour aider les entreprises d’investissement tout comme IOSCO (International Organization of Securities Commissions).

Le troisième chantier est l’application de la réglementation. Le sujet le plus complexe est de savoir comment et à qui les transactions par Blockchain peuvent être dénoncées en cas de litige ? En effet, à la différence d’une blockchain publique dans laquelle les échanges n’ont pas de valeur légale, dans une blockchain privée, seules les règles élaborées par l’entité en charge des activités fonctionnent sur les chaines de blocs. Cependant ces blocs ne font qu’enregistrer les transactions mais ne constituent pas eux-mêmes les transactions. Dans le cas d’une opposition à cette transaction, bien que la chaine de blocs puisse constituer une preuve de propriété, elle ne sera sans doute pas suffisante sans intervention d’une autorité compétente. La situation se complexifie si cette transaction est internationale. Il est donc primordial que toutes ces modalités soient encadrées par une disposition internationale. Or, tout le monde garde en mémoire l’appropriation d’Internet par les Etats-Unis et le risque de perte de souveraineté sur ces transactions est donc réel.

Le quatrième chantier porte sur la protection des investisseurs afin de les garder confiants et informés. Cette tâche peut être complexe car il ne faudrait pas faire de l’ingérence avec les innovations en cours.

Enfin, le dernier chantier porte sur l’éducation des investisseurs et des clients finaux à cette nouvelle technologie afin de les aider à en cerner les opportunités mais également les risques. Ce chantier est d’autant plus important lorsque l’on sait que des groupes d’influences sont déjà en action sur cette problématique en Europe.

En conclusion, tous les acteurs financiers convergent vers la technologie du blockchain qui va révolutionner les organisations de marché et les systèmes interbancaires actuellement en place à travers le monde. Il est donc indispensable que les autorités compétentes adoptent au plus tôt les dispositions permettant la mise en place de cette technologie, tout en assurant leur rôle de régulateur et d’arbitre. Certains pays paraissent bien plus en avance que d’autres, comme en témoignent les actions prises par les Etats-Unis via le NASDAQ (premier échange utilisant ce nouveau type de plateforme), la Corée via le KRX ou encore l’Australie via l’ASE. L’enjeu est de taille car cette technologie pourrait très bien à l’avenir amputer les Etats d’une part de leur souveraineté financière.