« Tout le monde commence à craindre de se faire Uberiser » a déclaré Maurice Levy.  Depuis plusieurs semaines, ce néologisme affole les grands noms du secteur tertiaire, et les acteurs du marché bancaire ne sont pas en marge. Mais de quel phénomène parle-t-on ? Quelles sont les menaces pour le secteur bancaire ?

Uberisation : de quoi parle-t-on ?

« Uberisation » est un néologisme qui définit le phénomène selon lequel un nouvel entrant, généralement un pure player arrive sur un marché établi, avec un modèle économique innovant – voire disruptif – susceptible de bouleverser et remettre en cause les règles et le modèle de l’économie traditionnelle. Une spécificité qui offre à ces acteurs la capacité de présenter un modèle d’affaires hyperscalable et intrinsèquement viral.

Hyperscalable : de par leur faible structure de coût, ces compétiteurs disposent de forts leviers opérationnels, autrement dit d’une forte capacité à répandre leur modèle d’affaires à coût limité. Passé une certaine taille critique, ces entreprises voient leur rentabilité exploser. Par conséquent, ces startups ont peu de difficulté à lever de fortes quantités de capitaux, leur valorisation – théorique – est souvent démesurée. En 2014, les levés de fonds par les Startups du secteur bancaire (fintech) au niveau mondial, ont frôlé 13 milliards dollars. Une mise à disposition de moyens qui permet à ces pépites de croître rapidement.

Intrinsèquement viral : ces nouveaux acteurs ont un Business Model de type plateforme. Ils créent de la valeur en se positionnant comme intermédiaires et en offrant à tout un chacun la possibilité de consommer et de délivrer des services. Le facteur clé de succès et la pérennité de ce type de modèle reposent sur la force du réseau. Plus grand est le réseau et la communauté engagée, meilleure devient la qualité du service.

Ainsi, une fois en place, ces startups vont venir défragmenter le marché, s’attaquer aux industries complaisantes, remplacer le monopôle existant en créant un nouveau monopôle. D’après John Chambers, CEO du groupe Cisco, deux tiers des grandes entreprises disparaitraient d’ici vingt ans et la majorité de ces entreprises seraient menacées par des startups. Ce sont des pépites, dont la force repose sur leur empathie client et capacité à répondre aux nouveaux usages. En présentant un modèle d’affaires en rupture avec les modèles mâtures prédominants, ces nouveaux acteurs vont créer de nouveaux espaces stratégiques dans lesquels les contraintes réglementaires sont limitées.

Uberisation du secteur bancaire : menace fantôme ou réalité ?

Depuis peu, la montée en puissance des fintech fait pressentir une transformation majeure de l’industrie bancaire. Ces sociétés rongent progressivement les parts de marché des spécialistes du crédit aux particuliers (Kisskissbankbank, Prêt d’union), aux entreprises (Unilend), des moyens de paiement (Lydia), de l’affacturage (FinexKap), ou encore de la gestion des devises (Weeleo), en proposant des modèles d’affaires innovants et spécifiques.

En dehors de leur maîtrise du numérique, ces digital natives affichent une grande capacité à placer leurs clients au cœur des services. Ces plateformes redonnent le pouvoir aux clients, notamment le pouvoir de s’exprimer sur la qualité des services ou de négocier les prix. En matière d’expérience utilisateurs, les parcours client sont simplifiés, les interfaces intuitives et virales favorisant l’effet de communauté. Sur le plan des offres, elles ne cherchent pas à proposer des services couvrant l’ensemble des pans du secteur bancaire, mais à se positionner sur des branches ciblées.

Ainsi, à l’heure où les grands établissements bancaires subissent les lourdeurs d’un cadre réglementaire contraignant (Bâle III) et d’une pression sociétale forte, la menace des startups du secteur bancaire est bien réelle. Elles profitent de la rigidité des banques pour proposer des services adaptés aux nouveaux comportements d’achat et aux nouveaux paradigmes sociaux (ex : économie collaborative).

Il n’est cependant pas juste de parler d’Uberisation des banques. L’industrie bancaire est complexe et structurée en plusieurs Domaines d’Activité Stratégique (DAS). L’attaque des fintech ne s’opère donc pas sur les banques mais sur certaines de leurs activités. De plus, les conditions d’entrée étant très lourdes (cadre réglementaire exigeant, niveau de confiance requis élevé), les fintech s’allient pour la plupart aux banques pour pénétrer le marché.

Profiter des Fintech pour se transformer

Si les startups du secteur bancaire ont aujourd’hui besoin des banques pour se développer, les banques ont besoin de ces startups pour se transformer. Ce, en captant leur agilité, leur capacité à innover, et en cherchant à bousculer et challenger leurs pratiques internes. Pour ce faire, plusieurs modalités sont envisageables.

L’acquisition est une solution pour se positionner rapidement sur un secteur en forte croissance, saisir une tendance ou acquérir une technologie nouvelle (ex : rachat de Leetchi par le Crédit Mutuel Arkéa).

L’incubateur est un moyen pour stimuler, acquérir des connaissances et générer rapidement de la synergie. La Société Générale a noué un partenariat avec l’incubateur d’innovation collective Player et organise régulièrement des Hackathons avec l’école 42.

Le coaching est une méthode douce pour conduire le changement, notamment le changement des méthodes de travail et des mentalités.

Le partenariat est un moyen pour accélérer le rythme de la transformation, accélérer le temps de mise sur la marché de services innovants en limitant les risques et couts liés à l’acquisition. Le partenariat du Crédit Mutuel Arkéa avec la Startup Linxo a permis à la banque de moderniser son application Fortuneo Budget.

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À terme, une transformation organique reste primordiale. Les banques devront :

  • Remettre à plat leurs processus, les adapter au digital pour gagner en agilité et améliorer l’efficacité opérationnelle ;
  • Réinventer l’expérience client pour regagner leur confiance et remettre ces derniers au centre de la proposition de valeur ;
  • Repenser leur business model et construire une proposition de valeur disruptive en utilisant les leviers offerts par le digital.

 

Si on ne peut pas parler d’uberisation du secteur bancaire, nous sommes à l’aube d’une mutation profonde de cette industrie. Pour rester pérennes, les banques doivent être attentives aux initiatives des startups, en mesure de remettre en cause les règles du marché. Elles devront aussi être proactives en repensant leur business model et en anticipant l’évolution des usages et modes de consommation. Enfin, si à date, l’Uberisation globale et rapide du secteur bancaire est peu probable à l’immédiat, les banques ne devraient-elles pas craindre un démantèlement progressif de leurs activités ?