Le Maroc, classé 3ème pays africain le plus prospère en 2016 et 1er sur le critère économique, rentre dans une période de transition clef  pour son développement et sa stabilité.

Comme l’indique Bank Al-Maghrib (la banque centrale marocaine) dans les médias nationaux et sous les recommandations du FMI, le Maroc entamera la transition vers un régime de change flottant à partir du deuxième semestre 2017. Pour tirer profit de ce changement, une transition prudente devra être planifiée par le Maroc.

Dans le paysage des régimes de changes, le dirham est dans une zone intermédiaire

Si les régimes de changes en vigueurs sont très variés, il est possible de dégager trois catégories :

(1) Le régime de change « fixe », où le pays rattache sa monnaie à celle d’un pays selon un taux fixe, voir même abandonne sa monnaie nationale au profit d’une monnaie étrangère, on parle alors de « dollarisation ».

(2) Le régime de change « dirigé », où le cours de la monnaie est fixé par rapport à l’évolution d’une monnaie ou d’un panier de monnaies étrangères, moyennant une bande de fluctuation plus ou moins grande par rapport au taux central. On distingue notamment deux variantes :

  • Taux de change fixe conventionnel : Bande de fluctuation < 1% par rapport au taux central fixé sur une monnaie ou un panier de monnaies étrangères.
  • Taux de change à bande de fluctuation : Bande de fluctuation > 1% par rapport au taux central fixé sur une monnaie ou un panier de monnaies étrangères.
  • Taux de change à parité glissante : Taux central avec possibilité de dévaluations et réévaluations fréquentes mais de petites amplitudes.

(3) Le régime de change « flottant », où la cotation de la monnaie est définie quotidiennement selon la loi de l’offre et de la demande sur le FOREX (Foreign Exchange Market).

Le Maroc adopte actuellement un régime de « Taux de change fixe conventionnel » où le Dirham marocain est arrimé aux deux monnaies dans lesquelles sont libellées la majorité de ses échanges commerciaux : l’Euro (pondéré à 60%) et le Dollar US (pondéré à 40%), avec une bande de fluctuation de +/- 0,3% par rapport au taux central.

Le Maroc a pu stabiliser son économie grâce au régime de change actuel qui permet donc de limiter les fluctuations du dirham par rapport à l’euro et au dollar, limitant ainsi le risque de change. En effet, entre la conclusion d’une transaction commerciale (prix fixe) et son règlement en devise (valeur connue le jour du règlement) le dirham ne variera que marginalement par rapport à l’euro et au dollar, d’où une confiance élevée des investisseurs internationaux qui sont ici peu exposés au risque de change.

Vers un régime de change flottant, notamment pour corriger un déficit de compétitivité…

Si le régime de change actuel a permis au Maroc de stabiliser son économie, il l’expose à des chocs exogènes et pèse fortement sur sa balance commerciale.
Par exemple, une forte hausse de l’euro tirait le dirham à la hausse par rapport aux devises des partenaires commerciaux du Maroc, dégradant ainsi sa compétitivité. Ou encore, une forte baisse de la demande extérieure ne serait pas compensée (sauf ajustement des prix et des salaires) par une baisse du dirham qui pourrait permettre de contrebalancer la baisse de la demande par un effet prix.

Le Maroc a une balance commerciale largement déficitaire avec un déficit à début 2017 d’environ 180 Milliards de dirhams soit une hausse d’environ 20% par rapport à 2015. Cela pourrait notamment s’expliquer par le fait que l’exportation est freinée, notamment, par le coût du travail. En effet, le Maroc propose le salaire minimum le plus élevé de l’Afrique francophone, soit environ 209 euros contre environ 95 euros en moyenne, ceci n’étant pas suffisamment compensé par la productivité du travail.

Le passage à un régime de change flottant pourrait, a priori, permettre au Maroc d’agir sur les constats précités. D’un côté, la valeur du dirham sera corrélée à l’attractivité économique du Maroc et s’ajustera plus facilement en cas de chocs exogènes (crise économique globale, difficulté d’un partenaire commercial majeur, etc.) jouant ainsi le rôle d’amortisseur. De l’autre, le déficit commercial actuel laisse à penser que le dirham est potentiellement trop élevé. Une dévaluation de quelques points permettrait d’améliorer la compétitivité-coût avec un impact positif sur les exportations, les réserves de devises, la balance commerciale ou encore le chômage.

…avec des risques à appréhender 

À terme, le dirham flottera donc librement sur le Forex. Au-delà d’une éventuelle dévaluation « naturelle » de quelques points, le dirham sera exposé à la spéculation qui représente environ 90% des échanges sur le Forex.

Ainsi, en cas de forte dévaluation du dirham (perte de confiance des investisseurs, attaque spéculative, etc.), le Maroc risque de se retrouver dans une impasse. Dans ce cas, quels choix s’offriraient au pays?

  • Ne rien faire : Il y aurait alors une augmentation de la dette libellée en devises étrangères et une hausse du coût des biens et services importés qui pèserait sur le pouvoir d’achat des ménages et la marge des entreprises.
  • Contrer l’attaque en achetant massivement du dirham (pour accroitre la demande de dirham et ainsi contrebalancer le niveau de l’offre) : achat massif de dirham contre des devises étrangères afin de faire repartir le dirham à la hausse, mais cela videra les réserves stratégiques de devises.
  • Augmenter les taux d’intérêts directeurs : le Maroc deviendra plus attractif (rentabilité des dépôts, obligations, etc.) ce qui attirera les capitaux étrangers faisant ainsi repartir le cours à la hausse grâce à l’achat de dirham, mais cela augmentera le coût du capital pour les ménages et les entreprises plombant ainsi la croissance en favorisant donc l’épargne au détriment de la consommation et l’investissement.

Dans le cas d’une surévaluation dirham, c’est la compétitivité à l’export qui risquerait d’être dégradée aggravant ainsi le déficit commercial actuel, le chômage, etc.  

Nécessité d’une transition par étape, et sur le temps long

Afin de ne pas mettre en péril la stabilité économique du Maroc, il convient de réaliser une transition progressive vers le régime de change flottant. C’est d’ailleurs ce qu’indique Abdellatif JOUAHRI, le gouverneur de Bank Al-Maghrib : « des pays ont achevé la transition vers la libéralisation des changes au bout de 8 à 10 ans ».

Si la feuille de route n’a pas encore été communiquée par Bank Al-Maghrib, une première étape serait d’élargir progressivement la bande de fluctuation du Dirham. Ainsi, l’agence de presse Reuters évoque le passage à une bande de fluctuation +/- 2,5% par rapport au taux central, soit des fluctuations qui pourraient atteindre 5%.

Au-delà de la feuille de route « technique » qui reste à définir (bande de fluctuation, taux d’inflation cible, stratégie d’intervention sur le cours du dirham, etc.), le Maroc devra préparer ses opérateurs économiques et consolider autant que possible ses réserves de devises étrangères.

Enfin, il semble indispensable pour le Maroc de renforcer autant que possible ses partenariats et relations diplomatiques avec les grands ensembles monétaires (Etats-Unis, Chine, Europe, Russie, etc.) afin d’en faire des alliés à même de soutenir le dirham en cas de surréaction du marché.