Avant d’entrer dans le vif du sujet qu’appelle-t-on la chute des taux, et en quoi celle-ci impacte-elle les banques françaises ? Retour en 2008, peu après les débuts de la crise financière, au moment où les banques traversent une grave crise de confiance et cherchent à réduire leur exposition bilancielle. Les mesures prises dans ce sens provoquent un resserrement du crédit (crédit-crunch) et l’économie n’est plus suffisamment financée. Pour lutter contre cet effet secondaire nocif, la BCE décide de s’engager dans un plan de Quantitative Easing (QE) qui consiste à injecter des liquidités dans la zone euro tout en abaissant ses taux directeurs. Celui-ci passe de 4,25% en 2008 à 0% en 2016 (Banque de France – Statistiques, taux et cours). Cette donnée pose problème aux banques de détail. En effet, cette branche a pour business model initial la collecte des dépôts, dont la rémunération est parfois règlementée (elle les transforme en prêts, en s’octroyant une marge. Ainsi, en 2008 le PNB dégagé par les activités de prêt suit une tendance baissière alors que les marges se contractent d’autant plus.

Toutefois, les chiffres ne donnent pas raison à ce raisonnement Comment expliquer, dans ce contexte, que le PNB cumulé des 6 principales banques françaises soit passé de 133 à 147 milliards d’euros entre 2009 et 2016 ? (Documents de référence BNP, CASA, SG, Crédit mutuel, LBP, BPCE années 2009 et 2016).

Sources de revenus historique, forces et faiblesses

De manière simplifiée, le PNB des banques françaises se décompose en 3 types de revenus distincts : la marge nette d’intérêts (MNI), les commissions et les opérations financières.

  • La marge nette d’intérêts (MNI) est, historiquement, la composante principale du revenu de cette industrie. Mais comme expliqué plus haut, celui-ci est comprimé depuis 2009 par un effet ciseaux conjoncturel et la marge de manœuvre des banques sur cette problématique est tout simplement inexistante.
  • Les commissions prélevées sont le deuxième type de revenus le plus collecté par les banques. Celles-ci peuvent être appliquées sur de très nombreux services : collecte assurance vie, gestion compte, renégociation de prêts. Elles ont toutefois subi un plafonnement réglementaire en 2014 et la nouvelle concurrence des banques en lignes « sans frais » menacent maintenant cette source de revenus.
  • Les revenus des opérations financières viennent donc compléter la décomposition du PNB des grandes banques. Elles sont majoritairement à rattacher aux activités de financement et d’investissement (BFI). Les résultats des opérations financières (ROF) restent intrinsèquement liés à l’évolution des marchés et subissent une volatilité non négligeable dans l’élaboration d’un plan de développement à long terme.

Le mixe entre ces différents revenus est un indicateur étroitement surveillé par la direction de ces institutions. Au-delà de la formation du PNB, chacun, dans des proportions différentes, contribue à fixer le niveau de fonds propres nécessaires pour atteindre les obligations réglementaires fixé par Bâle III. L’orientation de la stratégie dépendra alors d’un arbitrage entre des revenus challengés et dont la consommation de fonds propres est devenue hautement stratégique.

L’impact de la baisse de la MNI sur le pilotage de la banque

Les revenus issus de la MNI sont passés de 77 à 71,6 milliards d’euros de 2009 à 2016. Une baisse de 7% plus forte que la baisse de 10 points de la pondération de cette source dans le revenu mix des banques françaises (Observatoire des banques, Sia partners). Cette fois le raisonnement mathématique tient la route, le PNB global a bien augmenté malgré des rentrées moins importantes par la marge d’intérêt. Une évolution indolore pour nos institutions financières ? Pas vraiment. Crédit Agricole, la banque française la plus exposée avec 70% de ses revenus générés par la MNI en 2009, enregistrait 3 ans plus tard une perte colossale de plus de 6 milliards d’euros (Document de référence CASA, 2012). En cause : de larges plans de restructuration qui n’ont épargné aucune autre banque française. Même Société Générale, pourtant la banque la moins dépendante des revenus des intérêts, a enclenché 3 plans d’économies en 5 ans pour environ 2 milliards d’euros (La Tribune, « Société Générale lance un nouveau plan d’économies », 04/05/2016). Pour prendre le temps de modifier leur business model sur la longueur sans amputer les résultats immédiats, la réduction instantanée des frais est apparue à ce moment comme la meilleure solution. Toutefois actionnaires et gestionnaires ne sont pas dupes, les charges ne sont pas indéfiniment compressibles et la création de valeur sur le long terme passera par une réinvention du modèle actuel.

Quelles sources de revenus alternatives pour les banques demain ?

Inévitablement les nouvelles sources de revenus envisagées porteront notamment sur les nouvelles technologies

  • Contraintes par les différentes régulations à améliorer leur gestion des données, les banques devraient être rapidement en mesure de valoriser celle-ci grâce au Big Data. Bien que limitées dans son utilisation par la CNIL et GDPR, les potentiels cas d’usage sont nombreux.
  • La technologie Blockchain possède également d’innombrables applications dans l’industrie bancaire. Les transactions vont se retrouver sécurisées, certifiées, automatisées, à moindre coût.

D’autre part, les banques françaises continuent de se démarquer grâce à leur modèle diversifié. L’agrégation dans un grand groupe d’un large panel d’activités bancaires (BFI, leasing & factoring, gestion d’actif, banque de détail) est une vraie spécificité française. Cette diversification s’applique également au sein de chaque branche puisque la banque de détail a fait naître le statut de Bancassureur. Le fort potentiel de développement du marché et ses marges confortables font de l’assurance le parfait relais de croissance pour la banque. Par exemple, le gain de 5 points de parts de marché pour les bancassureurs entre 2011 et 2016 (L’argus de l’assurance, spéciale comptes, Edition 2016) illustre parfaitement la stratégie agressive opérée par les acteurs de la place dans ce sens.

De façon micro ou macroéconomique, les grandes banques françaises ont toutes été impactées au cours de ces dix dernières années. La marche a été franchie avec succès, les grands noms de l’industrie réfléchissent maintenant aux modalités d’évolution du modèle bancaire. Plébiscitées pour leur diversification, attirées par le potentiel de l’assurance, exaltées par les promesses de révolution des fintechs, les institutions françaises sont sur le bon chemin pour se protéger durablement contre l’impact de la baisse des taux.

Mais déjà, de l’autre côté de l’atlantique, Janet Yellen annonce 3 remontées des taux directeurs de la FED pour 2018 après les 3 hausses exécutées en 2017 ; retour en zone de confort à venir pour les banques françaises ?