La lutte contre le blanchiment de capitaux est associée à la lutte contre le financement du terrorisme depuis des années mais ce rapprochement est-il réellement pertinent ? Peut-on vraiment considérer que la détection des flux liés au blanchiment de capitaux doit être appréhendée de façon  similaire à ceux relatifs au financement du terrorisme ? Les outils de profilage existants possèdent-ils suffisamment de paramètres pour détecter les opérations liées au financement du terrorisme et pour déterminer un possible passage à l’acte ?

Les outils de profilage des comptes bancaires ont été mis en place pour permettre aux établissements bancaires d’identifier les flux financiers atypiques ou anormaux en fonction du profil identifié en amont d’un client. La plupart des outils fonctionnent sur le principe de seuils d’alerte. Les événements récents ont permis de mettre à jour d’autre types de financement que le réseau bancaire classique : utilisation de monnaies virtuelles, recours à des Hawalas (système informel de compensation) ou encore transfert d’espèces via des réseaux du type Moneygram ou Western Union, cartes prépayées. Ces événements ont également confirmé le peu de moyens requis pour passer à l’acte.

Si le financement du terrorisme passe en dessous des seuils d’alerte et si la modification du comportement « classique » n’est pas détectée au titre de l’outil existant, comment prévenir et identifier les auteurs d’actes terroristes ? Comment alors considérer que les outils de profilage bancaire tels qu’ils existent actuellement peuvent permettre d’identifier des flux liés au financement du terrorisme si ces flux ne passent pas ou très peu par des comptes bancaires classiques et si  les montants ne sont pas significatifs au regard des seuils d’alerte implémentés ?

Nous proposons de faire évoluer ces outils pour leur permettre de détecter des signaux faibles. Ces évolutions ne sont évidemment pas sans conséquences pour les établissements bancaires utilisateurs. Cependant ces évolutions peuvent à notre sens dépasser largement le cadre stricte du terrorisme.

L’utilisation des outils existants pour détecter les signaux faibles

 Un « signal faible » peut être vu comme  un « outil » d’aide à la décision. Il se présente généralement comme une « donnée » d’apparence anodine mais dont l’interprétation que l’on en fait peut déclencher une alerte. Cette alerte indique que pourrait survenir un événement susceptible d’avoir des conséquences considérables (en termes d’opportunité, de menace ou de risque). Après interprétation le signal n’est d’ailleurs plus qualifié de faible, mais de signal d’alerte précoce.

Quels sont les signaux faibles à détecter dans le cadre du terrorisme ?  L’absence de flux, la baisse de flux ou encore le changement de comportement dans l’utilisation des moyens de paiement devraient être autant d’indices pouvant mériter une investigation approfondie.

En effet, tout passage à l’acte nécessite une phase de préparation et c’est cette phase de préparation qui à notre sens pourrait être décelée par les outils de profilage. Par exemple, une personne se radicalise, son nouveau mode de vie peut passer inaperçu aux yeux de sa famille. Cependant son mode de consommation va nécessairement se modifier.

Les signaux faibles qui pourraient être détectés et analysés : la suppression des abonnements téléphoniques classiques,  la baisse de l’utilisation de la carte bleue ou encore la baisse de flux de consommation normale etc.

Cependant, le problème de détection est à la mesure de l’enjeu et des difficultés  de détection des actes de terrorisme et de leur financement ? Comment permettre aux outils de profilage de détecter ces signaux faibles mais aussi comment permettre aux établissements bancaires de traiter ces alertes d’une façon sereine ?

L’évolution nécessaire des outils de profilage

À notre sens le profilage bancaire trouve ses limites et sa force dans l’absence de flux. Les limites sont clairement identifiables : pas ou peu de petit flux n’entraînent pas d’alerte donc difficulté à déterminer en amont les comportements anormaux ou les changements de comportement d’un individu pouvant passer à l’acte. Il convient à notre sens de paramétrer et de repenser les outils de profilage pour leur permettre d’évoluer vers la détection de signaux faibles.

La conséquence non négligeable de ce recalibrage sera la nécessaire hausse des alertes à traiter. Cela peut effectivement constituer un frein à la mise en place de ces nouveaux procédés. Cependant les établissements bancaires et financiers devront faire un arbitrage entre le coût et les risques. N’est-il pas plus impactant de ne rien mettre en place en termes d’image, de potentielle sanction que d’affiner les paramètres d’un outil et de recruter plus de ressources pour traiter les alertes ?

Cet arbitrage entre coût et risques doit également à notre sens se faire en analysant les autres apports de ces évolutions.

La détection des signaux faibles au service du blanchiment de capitaux, de la lutte contre les fraudes et du développement commercial

En effet, accentuer la détection des changements de comportement d’un client par le développement des outils de profilage ne servira bien sûr pas uniquement la lutte contre le terrorisme. Elle permettra de rendre plus pertinente les alertes liées au blanchiment de capitaux. Elle permettra également d’utiliser cet outil dans la détection des fraudes externes. Prenons un exemple concret, si un client utilise des moyens de paiements qu’il n’utilisait pas avant, en démarrant une investigation via ces nouvelles alertes, il sera possible de se rendre compte que son chéquier est utilisé par une autre personne.

Enfin cet outil pourrait également servir d’outil de développement commercial ; en effet, mieux comprendre le comportement de son client permet d’adapter les services que les établissements peuvent lui proposer.

En conclusion, l’évolution des outils de détection nous paraît nécessaire pour s’adapter aux nouveaux enjeux liés au terrorisme. Cette évolution représente un coût mais ce coût peut être atténué par l’utilisation de ces évolutions pour d’autres problématiques comme la lutte contre les fraudes ou le développement commercial.

Repenser les outils de profilage bancaire vers les concepts de big data et de data mining fera l’objet d’un prochain article.