Pumpkin est une application mobile qui bouge actuellement les lignes sur le marché du paiement mobile en France. Aujourd’hui, l’application revendique près de 200 000 utilisateurs ayant généré des échanges de plus de 3 millions d’euros par mois. Les jeunes co-fondateurs ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin.

Retour sur un entretien très instructif avec Hugo Sallé de Chou, co-fondateur de Pumpkin.

Peux-tu nous dire en quoi aujourd’hui Pumpkin se différencie des autres acteurs du marché du paiement ?

A l’origine, le secteur du paiement en France est un métier bancaire. Pumpkin se positionne en bout de chaîne de ce métier traditionnel en permettant à des particuliers de lier un compte courant bancaire à un smartphone pour  effectuer des transactions. Sur ce métier-là, en France et en Europe, il n’y a que peu d’acteurs actuellement. Précédemment, et à titre d’exemple, il y a eu Kwixo qui était rattaché au Crédit Agricole via Fia-Net et qui a eu ses heures en 2010 puis fait faillite en 2016. C’est l’une des nombreuses entreprises pour laquelle  plus de 10M€ ont été investis mais qui n’a pas fonctionné à terme.

Penses-tu que le marché n’était pas assez mature à l’époque ?

En effet, la maturité du marché peut être une des raisons de ces échecs. En 2010, un smartphone était utilisé uniquement pour téléphoner. Lorsqu’on analyse l’échec de ces entreprises, beaucoup de raisons reviennent.  Par exemple, certaines étaient en B2C et ont pivoté en B2B sans réussir cette transition. D’autres causes peuvent être liées aux fondateurs, au produit, à la stratégie de développement.

Finalement aujourd’hui quand on regarde l’état du marché du paiement entre particuliers en France, il reste en start-ups deux acteurs : Pumpkin et Lydia. Bien entendu, il y a également PayPal qui est présent sur le marché et des acteurs comme du type S-Money, Fivory…qui sont des acteurs semi-bancaires avec des structures souples.

Selon toi, comment se différencie Pumpkin de ces autres acteurs?

Lydia et Pumpkin ont le même cœur de métier : nous ciblons des clients ayant un compte courant que l’on associe à un wallet dans le but de recevoir et d’effectuer des transactions bancaires gratuites et instantanées. Mais il existe des différences de fait. Celle de Pumpkin c’est son pouvoir de communauté avec les millenials. On insiste sur le « moment » à l’origine de la transaction, que les utilisateurs peuvent commenter. Cette communauté rassemble en moyenne une quarantaine de personnes par utilisateur avec des commentaires comme « merci pour l’apéro », « le covoiturage », etc. Pour nous c’est aussi une manière de faire une communication assez directe, de tutoyer les utilisateurs et d’être plus proche d’eux. Lydia de son côté a une dimension moins sociale que Pumpkin à mon sens.

Ensuite, au niveau de la stratégie, nous nous différencions par un constat simple : le paiement en peer-to-peer n’est pas un business en tant que tel, les entreprises doivent donc utiliser ce peer-to-peer pour en faire un business. Notre conviction est que le paiement doit être universel, et qu’aujourd’hui le moyen de paiement universel, c’est la carte bancaire. Demain, si on peut utiliser notre mobile pour payer sur un terminal de paiement, c’est un vrai avantage. Nous voulons rester en B2C dans le futur, là ou d’autres vont ailleurs.

Dans cette optique, envisagez-vous de lancer une carte de paiement Pumpkin ?

Nous avons deux ans de recul sur les usages de nos utilisateurs et nous sommes certains de pouvoir leur apporter de la valeur. Nous réalisons qu’ils ont du mal à gérer leur argent parfois et nous pouvons apporter de nouveaux usages, notamment aux jeunes, sur ces sujets. Nous sommes souples et n’avons pas de « legacy ». En combinant ces éléments à notre vision précise de la réglementation, nous pouvons créer une offre et un service dédié. C’est donc une éventualité.

A terme vous positionner sur du B2B vous intéresse-t-il ?

Nous avons un outil, Pumpkin Event, qui nous sert de porte d’entrée pour travailler avec des campus, en B2B. Cet outil nous permet de travailler avec des associations étudiantes qui vont utiliser et promouvoir Pumpkin lors de leurs soirées BDE, voyages, etc. en demandant aux étudiants de télécharger notre application pour payer pendant ces évènements. Il s’agit plus d’un moyen que d’une finalité pour nous, mais ça génère des revenus et fait baisser notre coût d’acquisition. Mais c’est uniquement dans le but de recruter des utilisateurs.

Pumpkin étant une application gratuite, quel est votre modèle de rémunération ?

Cette billetterie en ligne nous permet de gagner de l’argent et nous avons également un Pumpkin professionnel qui nous permet dans certains écosystèmes d’améliorer la rétention, comme par exemple dans une cafétéria ou un bar en face de l’école. Ce sont plutôt des moyens d’améliorer notre taux d’acquisition et la rétention des clients. Les deux génèrent des revenus mais pas à hauteur de ce que l’on dépense. Depuis 3 ans nous vivons sur 2 levées de fonds qui nous permettent de faire tourner une entreprise de 22 personnes.

A hauteur de combien êtes-vous dilués ?

Les 3 fondateurs détiennent environ 60% du capital à date.

Avez-vous des partenariats avec des institutions financières ?

Oui ,nous avons un partenariat avec Mango Pay (groupe Crédit Mutuel Arkea) qui nous émet de la monnaie électronique puis avec Payline, un PCI DSS (Payment Card Industry Data SecurityStandard), qui permet d’enregistrer les données bancaires des utilisateurs et de passer les paiements. Et, en fin de chaîne, il y a Crédit Mutuel Arkea qui va récolter les fonds électroniques sur un compte.

Aujourd’hui,  cherchez-vous à nouer des partenariats particuliers avec des banques ?

Nous avons une relation très saine avec les banques mais on ne cherche pas particulièrement à nouer des partenariats. On essaie de comprendre comment les acteurs bancaires fonctionnent, leurs problématiques, leurs visions à 5/10 ans et où nous pouvons leur apporter de la valeur ajoutée. C’est peut-être notre naïveté qui nous a permis de nous lancer, l’écosystème étant relativement restreint en France.

Penses-tu que Pumpkin soit capable de continuer l’aventure seul ?

On en est tout à fait capable aujourd’hui, et pour un bout de chemin,même si on n’est jamais vraiment seuls. Si on devait gérer l’intégralité des métiers de notre chaîne de valeur seuls, on n’aurait pas autant d’utilisateurs. Notre chaîne de valeur est très segmentée et compte déjà 3 partenaires, qui, par la force des choses, sont devenus un seul et même groupe. On continuera d’avancer avec des partenaires tout en étant une entité à part.

Si on se rapproche d’une banque un jour c’est parce qu’il y aura des synergies à créer, des enjeux à l’international, des moyens, etc.

Avez-vous un important besoin de moyens aujourd’hui ?

Notre métier n’existait pas il y a 3 ans et est en cours de création. Nous sommes quelques acteurs sur la ligne de départ qui convoitons ces nouvelles parts de marché. Cette opportunité ne durera pas éternellement, c’est donc aujourd’hui qu’il est nécessaire d’investir.

Comment vois-tu l’avenir des Fintechs en France ? Quels types de financement sont envisageables?

Il faut catégoriser les Fintechs je pense. Il y a d’un côté les B2B et de l’autre les B2C. Dans les B2B il y a les fournisseurs de banque et assurance. En B2C il y a plusieurs portes d’entrées.

J’ai l’impression qu’aujourd’hui on arrive dans une période où l’étau est en train de se resserrer. Un grand nombre d’acteurs convergent du B2C vers le B2B car c’est souvent là où il y a le plus d’argent. Il y a aussi une notion de culture et d’ambition en France avec un marché B2C assez petit. Il y a deux solutions pour moi pour une entreprise française en B2C. Elle peut avoir tout de suite une culture et une ambition internationale (Asie, US, Afrique notamment), elle peut aller chercher des gros montants de financement, ou elle reste sur le marché français et s’aligne éventuellement avec un acteur plus gros, à l’image du Compte Nickel avec BNP.

 Avez-vous des ambitions internationales aujourd’hui ?

On est déjà présents de manière assez faible aujourd’hui en Belgique  et on prévoit une ouverture à l’internationale pour début 2018. Ça n’avait pas de sens de le faire avant pour nous parce qu’on fonctionne grâce au bouche–à-oreille. Cela a plus de sens pour nous d’avoir une croissance en maillage et non pas une multitude de micro-communautés.

Pourquoi ne pas imaginer une ouverture dans des zones frontalières comprenant de nombreux francophones, à l’image de Londres ?

Londres est une question particulière, notamment à cause de la monnaie. C’est un marché avec de nombreux atouts mais on l’envisage pour d’autres choses que le reste du marché européen aujourd’hui.

Au niveau réglementaire, comment fonctionnez-vous ? Êtes-vous régulièrement contrôlés par l’ACPR, etc. ?

On n’a pas un agrément en France auprès de l’ACPR car nous ne sommes pas un établissement de paiement, mais « agent pour le compte de ». Notre relation avec l’ACPR est indirecte puisque c’est Mango Pay qui la gère avec l’ACPR Luxembourgeois,  se portant responsable de notre activité. Nous sommes donc contrôlés par Mango Pay, eux-mêmes contrôlés par le régulateur.

On essaie d’être compliant. On s’est beaucoup formés sur la réglementation, on a eu beaucoup d’interlocuteurs sur les enjeux et interprétations du réglementaire. Ça nous permet de cerner les limites et les zones exploitables. Lorsqu’il y a des changements de régulations, on anticipe le plus en amont possible afin de mettre en place un processus pour être en avance par rapport aux concurrents.

Est-il possible de blanchir de l’argent via Pumpkin ?

Techniquement, c’est possible, mais nous avons mis en place des alertes, un traitement algorithmique et un traitement manuel in fine qui bloque les fonds en cas de doute. Si on a un soupçon on demande des documents et on peut demander des informations à la banque du client. C’est une relation win-win et il se crée un réseau avec les directions compliance des banques.

C’est très important pour nous en tant qu’acteur en bout de chaîne d’être vigilants et ça nous permet d’innover dans ce secteur-là. L’aspect communautaire de Pumpkin est également assez intéressant et utile dans le cas de la gestion de la fraude, ce qu’une banque plus traditionnelle ne pourrait pas faire. L’innovation est un sujet clé chez Pumpkin, notamment sur la compliance. Le client final ne le voit mais, mais il s’agit d’un bel atout pour nous.

Concernant l’avènement des nouvelles technologies, identifiez-vous des leviers de croissance pour Pupmkin ?

Nous sommes attentifs à toutes les nouvelles technologies. Ce qui est certain c’est que nous apportons du service et pouvons à titre d’exemple aider l’utilisateur à gérer son argent. Nous sommes capables d’apprendre de son comportement et le renseigner sur ce sujet.

Imaginez-vous mettre en place un bouton Pumpkin sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) ?

Absolument, ça nous intéresse énormément. Nous sommes très réactifs sur les réseaux sociaux et c’est très facile pour nos 200 000 utilisateurs de nous contacter via un tweet, Facebook ou d’autres réseaux. Les contacts avec les banques sont souvent plus compliqués : via des call centers délocalisés ou des boîtes vocales automatisées.

D’un point de vue plus personnel, êtes-vous toujours concentrés sur Pumpkin ou envisagez-vous d’autres projets ?

Au bout de 3 ans, on perçoit toujours plus d’opportunité qu’à notre lancement, donc nous sommes clairement investis dans Pumpkin et évitons de nous disperser.

Le plus compliqué dans l’innovation c’est d’innover en continu, non seulement sur son propre produit mais aussi sur les domaines connexes comme la sécurité et la relation client. C’est en étant bon dans tous ces domaines qu’il devient possible de se différencier.

Comment Pumpkin trouve ses nouveaux clients en dehors de son cœur de cible : les millenials ?

Pour le moment, nous restons concentrés sur des utilisateurs de 20 à 30 ans. Nous voyons une cible naturelle : les 50-60 ans, qui sont les parents des enfants utilisateurs. Nous constatons qu’ils utilisent ensuite l’application entre eux et dans leurs réseaux, il y a donc un fort pouvoir d’acceptation du service. Nous fonctionnons réellement par capillarité.

Notre problématique actuelle tourne autour des 30-45 ans, qui restent difficiles à capter.

La moyenne d’âge des utilisateurs a augmenté d’un an et demi en 2 ans (23,5 ans), ce qui prouve que nos utilisateurs grandissent avec nous et nous pousse à proposer un service de qualité.

Par curiosité, quel est le montant moyen des transactions ?

Autour de 21€, de manière assez stable.

Dirais-tu que vous êtes dépendants de certains évènements comme l’Euro de football ou les JO ?

Non, pas vraiment. Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que nous enregistrons davantage de transactions en semaine que le week-end. Par exemple, un étudiant sur un campus voit plus de monde en semaine que le week-end ou pendant les vacances scolaires. La partie de notre base qui est étudiante utilise moins Pumpkin hors des campus, et effectue plus de transactions en début de mois qu’en fin de mois. C’est un comportement typiquement étudiant.

Pour terminer, quelle est la technologie derrière Pumpkin ?

Toute la technologie Pumpkin existait déjà, nous n’avons rien inventé. Notre technologie de base est un « wallet »correspondant à un compte et relié à une personne. Nous faisons de la tenue de compte, en gardant des débits crédits. Il ne s’agit pas vraiment d’une technologie mais d’une facilitation des usages grâce à une bonne expérience client et notre connaissance fine des utilisateurs.