Fin octobre 2021, le Club Les Echos Débats recevait sur son plateau Jean-Paul MAZOYER, Directeur Général Adjoint en charge du pôle Technologique & Digital du Groupe Crédit Agricole, et Benoit GRISONI, Directeur Général de Boursorama. Ces échanges, organisés en partenariat avec Wavestone, Delville Management et IESEG School of management, ont porté sur le thème « Banques traditionnelles, banques digitales, quel modèle pour demain ? ».

L’apparition des premiers cas de COVID-19 en France, au début de l’année 2020, a profondément et durablement modifié le paysage économique du pays. Entrainant des restrictions sans précédent, les français ont dû revoir leurs comportements et modes de consommation, les entreprises adaptant quant à elles leurs activités, que ce soit en termes d’offres ou de modalités de travail.

Le secteur bancaire, durement touché par la pandémie, semble néanmoins avoir su tirer profit de cette crise. Le déploiement accéléré de solutions digitales lui a en effet permis de rattraper, au moins en partie, le retard accumulé vis-à-vis des nouveaux entrants du marché.

Le COVID : un révélateur pour les banques

Plus qu’une révolution pour les consommateurs, l’impact de la crise de la Covid-19 a constitué un véritable révélateur pour le secteur bancaire, contraint d’accélérer la digitalisation de ses offres et activités.

Des clients déjà adeptes des solutions digitales

Du point de vue des consommateurs, la tendance à la digitalisation n’est pas nouvelle. Entre 2006 et 2018, la part de la population française ayant recours à des services digitaux afin d’effectuer des opérations bancaires est en effet passée de 18% à 63%[1]. Si un certain ralentissement de cette dynamique était visible ces dernières années, la crise sanitaire semble avoir à rebattu les cartes.

Contraints à limiter leurs déplacements et leurs interactions sociales, les français se sont tournés vers les canaux digitaux afin d’accéder à leurs données ou services bancaires. 94% d’entre eux[2] ont ainsi utilisé, en 2020, les outils numériques mis à disposition par leur banque.

Mais si la crise sanitaire a bien constitué un accélérateur de tendances préexistantes, faisant, en l’espace de quelques mois, avancer l’usage des canaux numériques dans le secteur bancaire de plusieurs années[3], elle a surtout révélé l’absolue nécessité pour les banques de se digitaliser.

Une prise de conscience des banques sur la nécessité de se digitaliser

L’immense effort d’adaptation qu’ont dû fournir les banques afin d’assurer la continuité de leurs services, a fini de les convaincre de l’importance que revêt pour elles la digitalisation de leurs activités.

Contraintes d’adopter le travail à distance à grande échelle en quelques jours seulement, les acteurs bancaires ont, dans un premier temps, paré au plus pressé en généralisant des solutions déjà utilisées sur de plus petits périmètres[4] (VPN, environnements de travail virtuels, …), avant d’opérer des changements plus profonds sur leurs systèmes informatiques.

Mais au-delà de contraintes purement opérationnelles, l’accélération de la transformation digitale des banques est mise en lumière par la place de plus en plus importante accordée à l’Intelligence Artificielle dans la relation client. L’implémentation de telles solutions suit deux objectifs. Le premier, à destination du client, est d’en améliorer la satisfaction, en réduisant notamment les délais de réponse par la mise en place de chatbots ou de voicebots. A titre d’exemple, sur les 300 000 points de contact mensuels traités par Boursorama, la moitié l’est par une solution d’intelligence artificielle. Le second, interne, est double : réduire les coûts de fonctionnement en réaffectant des collaborateurs qualifiés à des tâches à plus haute valeur ajoutée, et augmenter le PNB en anticipant et comprenant les besoins du client afin de lui proposer, au moment opportun, des offres hyper-personnalisées.

« L’hyper personnalisation, pour tous » :  Joël Nadjar

Banques digitales vs Banques traditionnelles, des clients aux profils particuliers

Si plusieurs éléments distinguent les clients des banques traditionnelles de ceux de banques digitales, de nouvelles aspirations, amplifiées par la crise sanitaire, les touchent de manière indifférenciée.

Multi bancarisation et attachement au conseil humain

La loi Macron de 2017, en favorisant la mobilité bancaire, a permis de démocratiser l’usage des banques digitales. Si la part de clients, particuliers ou entreprises, à disposer d’un compte dans une banque en ligne est passée de 17% à 23% entre 2018 et 2020[5], cette croissance cache une réalité moins flatteuse. La clientèle des banques digitales est en effet caractérisée par une très forte multi-bancarisation puisque seuls 3,8% des français disposant d’un compte auprès d’une banque en ligne en font leur compte principal[6].

Cette situation peut s’expliquer par plusieurs facteurs, le premier étant que les français semblent attachés au conseil humain. En effet, une étude menée par l’IFOP en 2020, a montré que 83% de français « estiment que la banque idéale doit permettre à chacun de choisir entre services digitaux et agences en fonction de ses besoins »[7].

Le second facteur est que, bien que 94% des français aient utilisé des services bancaires numériques en 2020 (contre seulement 72% en 2019)[8], seuls 30% d’entre eux ont utilisé l’application et/ou le site web comme canal principal de souscription à des produits bancaires cette même année[9]. Les français semblent en effet enclins à opter pour des parcours 100% digitaux pour des produits simples. Ils aiment néanmoins avoir à leur disposition des conseillers, avec qui ils peuvent échanger en agence ou à distance, pour les accompagner dans des étapes importantes de leur vie ou face à des problématiques complexes.

Les banques digitales, pour accroitre leur PNB, devront donc diversifier et étendre leurs offres, proposer un accompagnement pour les produits les plus complexes (financement, épargne, …) et maintenir la fluidité de leurs parcours. Les banques traditionnelles devront quant à elle digitaliser les produits qu’elles proposent déjà en les incorporant à des parcours hybrides ou 100% digitaux.

Des clients sensibles aux questions sociétales

Si, comme nous l’avons vu, la clientèle des banques digitales est caractérisée par la multi bancarisation quand celles des banques traditionnelles a un usage hybride (physique et digital) des points de contact mis à sa disposition, ces deux groupes se rejoignent dans l’importance grandissante qu’ils accordent aux questions sociétales.

Cette tendance, bien que préexistante au Covid, s’est assez largement développée avec la crise sanitaire. En effet, une étude menée par Wavestone a démontré qu’en 2020, tous secteurs confondus, 60% des français ont pris en compte l’aspect local ou « Made in France » des produits quand 52% d’entre eux ont privilégié les produits respectueux de l’environnement[10].

Fortement exposés aux problématiques sociales et environnementales du fait de ses activités, le secteur bancaire est particulièrement touché par cette dynamique. Une étude européenne menée par Oney sur l’évolution des pratiques de consommation, a en effet montré que « 75% des sondés sont prêts à choisir leur banque en fonction de ses engagements durables et raisonnés (mise en place de prêts à taux réduits pour les achats durables, partenariats avec des entreprises engagée, …) »

Les acteurs du secteur bancaire devront donc, par conviction ou par nécessité, s’engager dans de profondes réformes s’ils souhaitent répondre aux nouvelles aspirations de leurs clients, que ce soit en matière d’emplois, de territoires ou de climat. Prenant les devants, La Banque Postale, future entreprise à mission, a dévoilé sa nouvelle raison d’être : « contribuer […] à construire une société plus attentive à la planète et à tous ceux qui l’habitent ».

Les premiers efforts intentés en la matière par les banques semblent commencer à porter leurs fruits dans l’opinion des français puisqu’en 2020, 65% d’entre eux ont considéré que l’industrie bancaire est au service des consommateurs (+ 7% vs 2018) et au service des territoires (70% en 2020, +8% vs 2018)[12]. La marche à franchir reste néanmoins importante en matière climatique puisque, selon les projections actuelles, leurs trajectoires de décarbonation ne permettront pas de tenir l’objectif de +1,5°C[13].

 

[1] Etude Statista, Part de la population française effectuant des opérations bancaires en ligne, 2019

[2] Wavestone, Panorama des services bancaires, 2021

[3] Le Club les Echos, Débats prospective, 21/10/2021

[4] Stéphanie Chaptal, Le télétravail transforme en profondeur l’infrastructure informatique des banques, Revue Banque n°854, 22/02/2021

[5] Florian Langlois, Banques en ligne et banques traditionnelles, et si elles coopéraient ?, DAFMag, 07/05/2021

[6] Op. Cit

[7] IFOP & FBF, Les Français, leur banques, leurs attentes (étude n°2), 2020

[8] Etude Galit, 2021

[9] Etude CGI, 2021

[10] Wavestone, Baromètre des Nouvelles tendances de consommation, 2021

[11] Oney & OpinionWay, Etude européenne sur la consommation raisonnée, 2021

[12] IFOP & FBF, Les Français, leur banques, leurs attentes (étude n°2), 2020

[13] Carbone 4 Finance, 2020